Ode à ces voitures américaines qui ne voient jamais le soleil

voiture-abandonnee

Ode à ces voitures américaines qui ne voient jamais le soleil

Par un fabuleux hasard, on découvre parfois des voitures dont on ne soupçonnait même pas la présence. Un voisin de longue date gardant enfouie au fond de son garage une vieille Cadillac, l’ami d’un oncle qui nous apprend – au fil d’une discussion – qu’il possède une Chrysler des années 1960. Personne ne l’aurait imaginé. Personne n’a vu ces autos de ses propres yeux.

Bien qu’on n’en croise pas à tous les coins de rue, l’Europe reste un beau vivier en matière de voitures américaines anciennes. De nombreux constructeurs y vendaient leurs modèles, souvent à destination d’une clientèle plutôt aisée. On les retrouvait ensuite à tous les prix sur le marché de l’occasion. Plus tard, les importations à titre isolé ont connu une véritable explosion grâce au dollar faible et au développement d’internet. Les plus jeunes sont toujours aussi fascinés que leurs ainés par ces voitures au charme unique, comme si le temps n’avait aucune emprise sur leur sex appeal (des cougars avant l’heure?). Qu’on se contente de les dévorer du regard dans la rue ou qu’on franchisse le pas d’un achat, nombreux sont les amateurs. Pourtant, certaines beautés amerloques devront renoncer à la gloire et se contenter d’attendre dans un garage. Attendre quoi?

Le complexe de la Majorette

Enfants, ils adoraient entasser les voitures miniatures dans leur coffre à jouets. Adultes, ils continuent mais les jouets ont grossi. La Majorette est devenue une vraie Chevrolet Bel Air, échelle 1. A côté d’elle, une Impala bleue s’enfonce dans le sol boueux. En jetant un oeil au fond de la cour, on aperçoit une autre Impala, rouge cette fois-ci. Celle là devait servir de donneuse d’organes pour la première. Le truc c’est que Jason (nous l’appellerons Jason) a ce projet en tête depuis une bonne vingtaine d’années. La première Impala qu’il a acheté pour la restaurer est devenue au moins aussi pourrie que la seconde, faute de temps et d’argent pour bosser dessus. N’ayant pas de garage, notre homme a laissé les véhicules sur sa petite pelouse, exposés aux intempéries. Des curieux sont venus faire des offres pour une des Impala mais Jason les a remballé aussi sec. Il prévoit de redémarrer la voiture d’ici quelques mois… voire un an. La Bel Air – elle – est en vente depuis 6 mois sur Leboncoin. Jason n’est pas bête. Il a bien vu que ce modèle 1957 a pris une sacrée cote en 30 ans. Ce sera 20.000 euros ou rien. Qu’importe si tout est à refaire.

collection-majorette

Accumuler plus qu’on ne peut en gérer: à vos risques et périls.

N’en voulons pas à Jason. Ce n’est pas un mauvais bougre après tout. Aveuglé par l’idée de mener à bien son vieux projet, il a juste du mal à voir la réalité en face: ses voitures adorées finiront là où il les a laissé. La restauration, ce n’est peut être pas fait pour lui (Lire aussi 10 trucs à savoir avant de restaurer une voiture américaine). Il doit accepter cet échec. Il aime ses autos plus que tout au monde et ne supporte pas l’idée de s’en séparer alors que la plus belle preuve d’amour qu’il pourrait leur offrir serait de les revendre à des passionnés qui sauront en prendre soin et mener cette restauration à terme (photos à l’appui). L’argent de la revente lui permettrait peut être même de s’acheter enfin une voiture roulante!

Le complexe de la Dinky Toys

Bob est un fou de Ford Thunderbird. Ce millésime 1964, il en a rêvé. Chaque weekend, il la chouchoute à coup de litres de produits Meguiars. La carrosserie – régulièrement lustrée – brille de mille feux, à se demander si elle était aussi resplendissante au salon de Detroit 1964. Au compteur, la belle endormie n’affiche que 32.640 miles d’origine, soit à peine 200 de plus que lors de son achat il y a 3 ans. Bob ne la sort que rarement, toujours sur le même itinéraire. Une petite balade de 5 minutes sur une route peu fréquentée et sans danger. Il adore rouler dans sa Ford. Suffit d’observer ce sourire en coin. Mais toutes les bonnes choses ont une fin. La sienne arrive quand le moteur atteint tout juste sa température optimale.

gollum-precious

Comme Bob, Gollum est complètement omnibulé par son « précieux ».

Bob sait que sa Tbird a une certaine valeur dans l’état actuel. Il fait tout pour la conserver ainsi mais s’inflige une torture par la même occasion. Quand il prend la route, une petite voix lui dit de cruiser jusqu’à vider le réservoir. Il est un peu comme un enfant qui rentre dans la pièce d’un adulte passionné de Dinky Toys. L’envie de déchirer toutes les boites pour jouer avec les petites voitures est là mais le collectionneur le rappelle aussitôt à l’ordre: « Ne touche pas à ça, ce ne sont pas des jouets ». Sa voiture est faite pour rouler, mais ce n’est pas le but premier de Bob. Sa voiture à lui est faite pour briller. C’est tout. Et c’est le même sort qu’il réservera aux deux nouvelles Ford qu’il vient d’acquérir.

L’investisseur opportuniste

Certains articles de la presse automobile ancienne me dérangent. Je pense notamment à ces magazines américains – s’adressant à des collectionneurs plutôt fortunés – qui aiment publier régulièrement des dossiers titrés « 10 modèles sur lesquels investir » ou « Ces Chevrolet qui ont la cote ». La balance entre passion et investissement devient floue, à telle point que je me demande parfois si le journaliste s’adresse plus à un conseiller en patrimoine qu’à un passionné simplement désireux de lier raison et passion. Et ils auraient tord de s’en priver ; la voiture ancienne devient un investissement au même titre que l’achat immobilier. Commence alors la fête aux spéculations, sans aucune régulation.

Des types qui ne connaissent rien ou pas grand chose à l’automobile s’arrachent des modèles déjà cotés dans le simple but de les revendre le double quelques années plus tard. Dans les ventes aux enchères, certains véhicules atteignent des montants surréalistes. La moindre épave voit son prix s’envoler, sous prétexte qu’une célébrité l’ait possédé dans le passé, ne serait ce qu’un été tandis que des muscle cars se vendent le prix d’une villa sur la Côte d’Azur. Une fois entre les mains de ces investisseurs, n’espérez plus revoir ces voitures, si ce n’est à titre exceptionnel dans quelques événements majeurs ou 2-3 ans plus tard lors d’une vente aux enchères. N’espérez pas non plus entendre le moteur ronronner ; elle effectuera ses rares déplacements dans un semi remorque.

collection-voitures-miniatures

Le rêve de l’investisseur: voir toute sa collection statique en un coup d’oeil.

Pour ces propriétaires, ce n’est qu’un tableau de chasse qu’on exhibe fièrement comme on le ferait avec des toiles de grands maîtres. Leur plaisir consiste à étaler leur collection auprès des invités d’un soir et s’en séparer ne sera pas un problème le jour où sa valeur aura atteint le double de la mise de départ. Ils sont davantage passionnés par l’idée de faire un beau profit tout en se constituant un joli musée privé.

Au final, Jason et Bob sont d’authentiques passionnés qui agissent comme des parents un brin abusifs avec leurs chers et tendres enfants. Le spéculateur – lui – n’est guidé que par le profit et l’image. Mais en cumulant – avec raison – les traits de chacun des personnages, on peut voir émerger un passionné bien plus épanoui. Celui qui ne cumule pas trop de voitures à la fois, délègue certaines tâches quand il ne s’en sent pas capable, bichonne sa voiture régulièrement mais pas tout le temps, et peut – au passage – miser sur un modèle qui tient la cote. Le tout est d’avoir le juste dosage !

nettoyage-voiture

Un passionné épanoui qui utilise sa voiture régulièrement et la nettoie que lorsque c’est nécessaire.

Laisser un commentaire