Chapitre 1 : la Gran Torino remisée

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Chapitre 1 : la Gran Torino remisée

Y en a marre des contes de Noël tournés autour de la magie et de l’amour. Et si on parlait de belles carrosseries et de V8 américains, à la veille des fêtes. Histoire de changer un peu.

Déboires avec ma direction, erreurs administratives, petits ennuis de santé… On pourra dire que cette première semaine de 2016 était sacrément merdique. Un brin pessimiste, je pourrai même dire que 2016 s’annonce mal. Je prendrai bien un aller direct pour 2017.

Les fêtes passées, on retrouve très vite le train-train habituel. Il fait froid. Les gens font la gueule. Et moi le premier. Vivement le printemps.
En attendant, c’est vendredi soir et l’occasion de se faire un bon repas au chaud avec la belle famille. Et pourquoi pas déguster un bon cru. Direction le garage pour dénicher la bouteille idéale et casser un peu ma routine.

« Comme le bon vin, elle semble s’améliorer avec l’âge. »

Lumière allumée, une imposante silhouette élancée s’offre à ma vue et me tire un sourire. À moitié sous sa bâche, ma vieille Ford me fait encore de l’œil. Comme le bon vin, elle semble s’améliorer avec l’âge. Enfin, disons plutôt que mon regard sur elle s’améliore. Pas sûr qu’on lui décerne un prix pour ses incontinences régulières et ses quelques traces d’oxydation. Mais inutile de s’attarder dessus plus longtemps. Sa batterie est naze et j’ai pas d’argent à y mettre pour le moment.

Heurk! Pas besoin d’être un expert pour sentir que mon vin a tourné au vinaigre. Bon, j’y retourne.

Avant même d’atteindre la lumière, je me prends le pied dans un truc. Ma petite nièce n’a pas pu s’empêcher d’envoyer bouler la bâche de la Ford au sol pour voir ce qu’il y avait en dessous. Ce qu’elle ne manque pas de me confirmer. Ses yeux brillent quand elle regarde la voiture. C’est bien la première fois qu’un membre de ma famille flashe autant sur mon tas de ferraille. Ils ne jurent tous que par ces merdes hybrides.

« On peut monter dedans ? » me demande la petite, le regard ébahi. Pourquoi pas. Après tout, ce sera comme une redécouverte après ces années. Je tire la poignée et la porte s’ouvre dans un grincement digne d’un film d’horreur. Une odeur de vieux plastique et de poussière envahit la pièce mais il en faut bien plus pour refroidir la petite qui bondit au volant !

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Illustration par Cy. (sa page Facebook)

« Calme toi, c’est fragile ! »
Assis en passager, je me replonge dans mes vieux souvenirs. Le mariage du cousin où j’avais fait le chauffeur, les weekends avec ma petite amie, les sorties avec les copains … J’en ai quand même vécu de bons moments avec cette caisse.

« Elle aurait fait partie des meubles si la petite Lucie ne m’avait pas mis le nez dedans. »

– Pourquoi tu la conduis pas ?
– Elle ne marche plus.
– Tu l’as jamais réparé ?
– C’est beaucoup de travail et beaucoup d’argent tu sais. Des fois dans la vie, on fait pas toujours ce qu’on veut.
Dans le fond, c’était pas tant l’argent qui me bloquait. A une époque, j’aurais été prêt à bouffer des pâtes pour rouler dans cette voiture. C’est surtout la démotivation face aux travaux qui m’attendaient. Quand je l’ai remisé il y a presque un an, elle démarrait de plus en plus mal puis la batterie a lâché et j’ai jeté l’éponge. Des problèmes personnels l’ont relégué au second rang et il se peut qu’elle aurait fait partie des meubles si la petite Lucie ne m’avait pas mis le nez dedans.

« C’est quoi cet engin?! »

Vla l’autre con qui débarque, le beauf, dans les deux sens du terme. Il est loin d’être méchant mais il m’a gavé royal quand il venait d’acheter son Scenic. Presque une heure de blabla autour de sa voiture jetable. Humainement c’est loin d’être un abruti mais question bagnoles c’est franchement pas ça. Je m’attends au pire.
« Elle est géniale cette caisse ! On dirait celle de Starsky. » Finalement, il est moins naze qu’il en l’air.

Ma Gran Torino, elle n’a jamais fait l’unanimité auprès des autres amateurs de voitures américaines. Trop récente – tout le monde lui préfère le début de la décennie 1970 – trop de portes – tout le monde préfère les 2 portes – trop molle – tout le monde préfère les big blocks. Qu’importe, on achète pas une bagnole pour les autres. Au premier regard, c’était le coup de foudre entre elle et moi.

« Tu la démarres ? »

– Si seulement. T’imagines pas le bordel que c’est sous le capot. Il doit y en avoir pour des heures et des heures de travail.
– T’as jamais essayé de la redémarrer?
– Inutile. La dernière fois, je devais m’y reprendre à 20 fois sur le démarreur puis plus rien et la batterie est complètement naze. Même avec une autre batterie, elle est jamais repartie.

Passé ce moment d’égarement, on retourne à table. L’ambiance est agréable, chaleureuse mais je ne peux m’empêcher de repenser à la Ford. La petite et son père avaient craqué pour ma vieille. Je n’étais pas si fou d’aimer cette voiture. Les verres de vin s’enchaînent. L’ambiance se détend de plus en plus. On relâche la pression de la semaine… Et un coup de folie me prend ! Si j’essayais de démarrer la Ford avec la batterie neuve de la 406?

« L’envie de retourner dans l’Amérique de mon enfance »

Je m’éclipse discrètement du salon. La batterie pèse le poids d’un âne mort mais je me sens bizarrement d’une force surhumaine. Je refais tous les niveaux, remet un peu d’essence fraîche, branche la batterie et tente l’impensable. Lucie débarque au même moment, probablement intriguée par tout ce grabuge.
« Croise les doigts! »
Clé dans le contact, j’accélère quelques coups puis lance le démarreur… Vraaouuuummmm! Le V8 se réveille comme par magie dans un raffut infernal. Une épaisse fumée envahit l’atmosphère les premières secondes puis s’estompe. Surpris par le bruit, tout le monde débarque dans le garage et contemple avec admiration ma « timecapsule ».

Comment aie-je pu m’en passer aussi longtemps ? Le doux ronronnement du 351 Ford m’invite à reprendre la route, sans destination ni but. Le simple plaisir de rouler et vider son esprit, bercé par le moelleux des suspensions. L’envie de retourner dans l’Amérique de mon enfance, celle des seventies.

Dès demain, je me replonge sous le capot pour une remise en route dans les règles de l’art et pour essayer de corriger ce que je n’ai jamais pris le temps de faire. La vie est trop courte pour laisser ses rêves au placard.

1 Commentaire

  • Yann
    16 décembre 2019

    J adore…..En lisant cette histoire, j’ai les images du film « Gran Torino » qui me reviennent en tête…..La Torino sous la bâche, le garage en bois au fond de l’allée, l’établi rangé au cordeau comme le faisait mon grand père…C’est étrange comme le cerveau catalogue certaines choses et l’associe a d’autres.
    Merci pour ce moment d’évasion.

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